
« Bienvenue à l’île à Vache. Je m’appelle Wagner, Jean, Hervé, Hans, Gabin…, et toi ? Tu vas bien ? »
Ce sont en ces termes, en français, que nous sommes accueillis et accostés dès 6h00 du matin et tout au long de cette journée hors du temps.


Après une nuit de navigation difficile où nous n’avons dormi chacun que 2h00, nous envisagions de nous reposer dès notre arrivée.
C’était sans compter la venue ininterrompue des pirogues venant nous souhaiter la bienvenue, en nous proposant toute sorte de service, du nettoyage du bateau, laver le linge, la visite de l’ile, à l’achat de noix de coco, bananes ou de langoustes (il n’y a pas grand chose d’autre sur l’ile). Et bien sûr, ils sont friands de tout ce que nous pouvons leur donner. Ils sont pauvres, -plus qu’à Cuba- et acceptent tout, y compris nos gros bidons d’eau vides dont nous ne ferons rien en Martinique..

Mais le must ce sont les masques de plongée, cordages de toute sorte, les vieilles voiles pour leurs embarcations, Et de la nourriture bien sûr….
Inutile d’imaginer aller dormir. Les rendez vous sont donc pris:
- Wagner nous emmènera à la ville à 10h00 dans sa pirogue motorisée (il y en a très peu) pour l’avitaillement en frais.
- Colby se propose pour des travaux sur Maverick. Le capitaine lui donne rendez-vous à 14h30 pour 1 ou 2 h de travail à 5 dollars de l’heure. Il sera top de top. Par ailleurs il nous propose de nous apporter le repas fait maison a 13h00. Ce sera un délice !
- Gabin viendra a 14h00 pour donner un peu d’internet au Capitaine afin de charger la météo.
Nous décidons donc, le repos étant impossible, de remettre Maverick en état. Il y a du boulot. Le bateau a quelque peu souffert des conditions de mer rencontrées. Pour moi nettoyage, dessalage des hublots. Pour le capitaine, révision totale, revissage des vis et boulons et vérification des voiles.
Et le ballet des pirogues continue pour nous vendre des bananes, des noix de coco. Nous leur donnons tout ce que nous trouvons : les bidons d’eau, des pâtes, des sachets de cookies individuels que nous avions achetés en masse au Guatemala, des crayons, stylos, jeux de cartes…
Hans arrive et nous propose de faire laver notre linge par sa maman, ramené propre au bateau à 13h00, promis, juré. Je ne lui donne pas tout, ayant l’appréhension de ne pas le récupérer. Dommage, ma prudence aurait dû laisser place à la confiance. Le linge est tout beau, tout propre, tout bien plié. J’aurais du tout lui donner… S’il vient vous voir faites lui confiance (Hans Carmad).
Nous l’avons vu toute la matinée plonger près de nous : il s’avère qu’il recherchait son casque audio indispensable pour ses cours à l’université. Il ne le retrouvera pas… nous lui donnons les seuls écouteurs à fil que nous avons ici. Nous en avons tant en France totalement inutilisés. Tous ces jeunes étudiants en seraient friands.
Et les autorités arrivent : Carma Cadet et Jean Delince. Nous les accueillons avec le café, qui chauffera toute la journée pour tous ceux accueillis sur Maverick. 10 dollars de taxe sont demandés pour la ville. Un permis nous est remis. Ils restent 1/2 heure à discuter avec nous de la vie sur l’ile à Vache, de Haïti. Rendez-vous est pris pour dîner ce soir avec eux.
Un petit jeune passe par là. Et hop le capitaine l’embauche pour wincher : vérification de la grand voile, fort utile car plusieurs usures sur les ris sont détectées. Le gamin est tout content. Il repartira avec quelques sous et cadeaux vers l’école où il a contrôle de chimie à 11h00.
Nous petit-déjeunons et Jean se présente. Jean vient pour régler les formalités de la SEMANAH (Service Maritime et de Navigation d’Haïti). Il nous demande… 40 dollars. Ça n’est pas envisageable pour nous, surtout pour un arrêt de 24h…
Après un petit café et une discussion active, nous?arrivons à baisser le prix. Et il repartira avec un des 4 MPPT (régulateur de charge) que le capitaine a changé au
Guatemala et qu’il a essayé vainement de vendre. C’était le destin : ceux-ci seront très utiles ici pour produire de l’électricité avec les batteries et panneaux solaires qu’ils peuvent se procurer via les organisations humanitaires présentes à Haïti.
Jean est diplômé agricole et très engagé dans la vie de l’ile. Nous regrettons tout particulièrement de ne pas avoir le temps de profiter de son savoir.
Et déjà Wagner est là. Un petit café de plus et c’est parti ! Direction les Cayes pour trouver du frais. Mais les Cayes, c’est en face, sur l’ile de Haïti. Nous ne souhaitons pas traverser d’autant que?nous n’avons pas fait les formalités à l’immigration. Alors il nous emmène plus loin sur l’ile, à la ville…



La ville, la voici….



Elle fourmillera demain, lors du marché bi-hebdomadaire, du jeudi et du lundi, marché où est vendu toute la production locale. A ce jour, il ne reste rien à acheter, tout ayant été liquidé depuis lundi.

Ce marché est un incontournable que nous ne vivrons malheureusement pas.
Nous nous contenterons, dans la seule boutique du village, d’œufs, de mini bricks de lait et de quelques oignons. Il n’y a rien de rien et c’est très cher. On fait aussi un peu de change pour payer nos achats auprès des piroguiers.

Nous comprenons qu’ils soient friands de tout ce que nous pouvons leur donner !


Nous repartons vers Maverick, en croisant les bateaux locaux et les pêcheurs de langoustes.

Retour à bord. Wagner se propose d’aller à l’avitaillement aux Cayes pour nous. Nous?lui faisons une liste et lui donnons 50 dollars. Toujours la confiance, donnée à bon escient ici…
Petite sieste d’une heure bienvenue avant le repas mais… ce ne sera que pour moi !
Toc toc toc… Le ballet des pirogues reprend et le capitaine y retourne.
De nouveau des bananes, langoustes sont proposées. Le capitaine prend, se démunie de toutes ses petites coupures en dollars et du peu de change effectué à la ville. Il commence à vérifier le moteur bâbord et prépare le chantier pour Colby.
Déjeuner de langoustes boucanées, c’est à dire grillées, le plat principal et classique ici, les iliens vivant uniquement de la pêche et de ce qui pousse sur l’ile.

Gabin arrive pour l’internet. Encore un jeune étudiant, en informatique.
Il faut savoir qu’ici, l’école c’est comme chez nous, obligatoire jusqu’à 16 ans. Les petits, c’est école le matin, les grands l’après-midi. Tout se passe sur l’ile. A partir de l’université, ça se passe aux Cayes, en face, et c’est payant.
Il est bien gentil, avenant et débrouillard. Il fournit au capitaine quelques gigas pour charger la dernière météo à jour. Il nous trouve également du produit pour les inox et nous demande en échange un peu d’essence, très chère ici.
Colby arrive, se met sur le nettoyage rébarbatif mais indispensable des cales moteurs.
Et là arrivent les petits. Ils investissent l’extérieur du bateau. Et ça discute, ça regarde, ça s’installe sagement dans le cockpit à surveiller le capitaine qui travaille dans la cale moteur.

Puis devant, sur les chaises de coque, aux hublots à regarder ce que je fabrique à l’intérieur. Tout ça avec joie, fraîcheur, babillages… aucune animosité, aucune jalousie, juste la joie enfantine de la rencontre de l’autre, des étrangers que nous sommes.

Je m’en veux maintenant de la pudeur de ne pas les avoir pris plus en photo…. je ne les ai photographiés que trop peu, mais je les ai dans mon cœur.
Le temps passe, Colby, très courageux, a terminé le nettoyage et se lance sur les inox, afin de travailler 2h. Il aura bien mérité ses 10 dollars !
Colby (tél 00 509 3172 1336)

Wagner revient avec des avocats, des mangues, des pommes de terre et quelques tomate. C’est mieux que rien et ça va bien égayer nos jours de mer à venir.
Il propose ensuite de nous préparer à terre les langoustes achetées par ci par là par le capitaine. Et le voilà reparti, à la rame cette fois, son moteur ayant rendu l’âme nous l’espérons, temporairement.
La récréation est terminée, les enfants quittent le navire.
Wagner (tél 00509 36117 9369), de retour, prend une petite bière bien méritée,

Colby, un petit soda avec en prime le gobelet de la route du rhum. Et une petite dizaine de canettes de soda éventées qui n’ont pas supporté la houle depuis le Guatemala. Il faudra s’en souvenir ! Et bien sûr son salaire et des petits présents du capitaine.
Pour ma part, je cherche ce que je peux donner aux petits jeunes sur leur pirogue qui continuent de venir… Nous nous sommes démunis du peu que nous avions à Cuba. Alors je tape dans nos réserves bien limitées. Et un paquet de pâtes supplémentaire avec sa sauce tomate par ci, des cigarettes par là, bien qu’ils n’en soient pas trop consommateurs.
Le crépuscule arrive, un dernier nettoyage du cockpit, le capitaine satisfait remet tout en place, une petite douche et Jean et Carma sont déjà là pour nous amener à terre pour le dîner qui est rapide puisque c’est au restaurant juste en face (enfin une bicoque, avec une table et 4 tabourets) et… 4 couverts. Leur femme ne sont pas là. Dommage, nous n’en aurons vu que bien peu. Elles restent chez elle à s’occuper des enfants après leur
journée de travail aux Cayes, nous disent-ils.
Le dîner ? Toujours les langoustes boucanées avec sauce aux langoustes, riz, beignets de bananes plantain et petite salade. Comme ce midi ! Pour eux le plat de tous les jours.
Nous parlons de la vie ici, de l’image de Haïti, que nous percevons, nous occidentaux. Effectivement un coupe gorges à la capitale, nous disent-ils, mais, toutes les régions ne se ressemblent pas.
Par exemple, Il est possible d’aller aux Cayes sans aucun risque. Là encore nous n’aurons pas le temps et pourtant c’aurait été intéressant.
Ils regrettent d’autant plus cette image, que le tourisme commençait à se développer sur l’ile, 5 à 6 resorts s’étant installés, dont des Français. Une belle île, paradisiaque, de belles activités de pêche, de voile, de la randonnée, de belles installations dans une nature luxuriante. Tout pour le succès touristique. Mais la plupart sont fermés car l’aéroport est situé sur l’ile principale de Haïti et les touristes ont peur d’y atterrir.
Et le Covid en est aussi certainement une des causes. Pourtant ils n’ont été que peu touchés. Pas physiquement car ils étaient bien trop pauvres pour s’en soucier. Et bien trop peu d’anciens à disparaitre du Covid-.
Ici pas de médicaments, et tous les frais de santé sont payants en Haïti.
A l’issue du repas, ils nous déposent sur Maverick, tout seul sur le plan d’eau, entouré de filets de pêche et de casiers. Il est 20h00. Direction le lit pour une bonne nuit de 9h de sommeil réparateur.

Lever 5h00 pour un départ à 6h. Quelle tristesse de partir et de ne pas pouvoir vivre ici quelques jours supplémentaires qui auraient été bien plus calmes après cet incessant ballet de pirogues du premier jour.
Nous quittons ce mouillage avec beaucoup d’attention, les filets, casiers et autres pièges étant particulièrement présents (je le répète, évitez d’arriver ou de partir de nuit car vraiment trop dangereux).


Tout juste 24h ici mais, vous l’aurez compris, 24h à part dans notre vie de marins voyageurs.
Nous nous estimons tellement privilégiés de vivre de tels moments de joies, de bonheur, de partage et d’humanité. L’essence même de notre voyage.
Mais qui sait, nous y reviendrons peut être ?
